■ CHAPITRE 4 — À PARTIR DE 14H45 : FINAL GAME

@Oreste
La mort frappe une nouvelle fois  
Les murs sales d’où la peau de plâtre pèle sous les couches des années abandonnées, le relent qui remonte jusqu’aux sinus, agressant ce sens pour finir par faire couler des perles au coin des yeux. Une goutte chante son histoire, tombant avec répétition dans une flaque au sol. La tranquillité des lieux laisse penser qu’il n’y a plus personne si ce n’est que quelques rats planqués dans les bas-fonds de l’ombre, regard vitreux et esprit ailleurs. Ils grouillent dans les débris laissés par les Hommes. On les entend jacasser leur plaisir de voir de nouveaux venus. Eux savent où trouver @Oreste et @Bastian, mais ils sont trop sournois pour en montrer le chemin. Le groupe avance à pas lent, leur portable servant de lumière dans l’antre de la bête. C’est peut-être une idée stupide que de zébrer les murs de lumière, mais avec les fenêtres condamnées, ils n’y voient pas grand-chose. Lits. Fauteuils roulants. Poupées. Objets incompréhensibles qui gisent sur le sol tâché. Ils ont passé le hall d’entrée, circulant dans le labyrinthe de couloirs. Les entrailles de la bête, à tout moment un Neon Killer peut surgir, enlaçant leur corps pour les tirer vers les limbes. Trépas que chacun redoute sans doute. Leur souffle ondule contre les parois des murs, celui de la respiration qui résonne comme une souffrance, des cris combattants le silence et eux qui poussent la porte de la chapelle. Hémoglobine qui peint le sol, laisse une traînée vers le Chœur.

L’enfer semble s’être forgé dans ce lieu, dans la pénombre brille le visage souriant d’un Neon Killer, il zieute leur arrivée. Est-ce aussi facile ? L’éclairage qui danse en direction de l’individu masqué amène au questionnement. Que ? Théâtre macabre où @Oreste laisse l’écho de son monologue silencieux parler pour lui. Geste symbolique. Homme de foi. Crucifié. Clou de fer enfoncé dans ses paumes. Une couronne de barbelé posée sur sa chevelure sombre. Nu. Aucun respect ne semble lui avoir été accordé. Sur sa peau dorée coule le sang du pécheur où les pointes de fer s’enfoncent dans sa chair. On a prit soin de le maquiller avec de la peinture fluorescente de couleur bleu. Ce n'est pas un masque, mais c'est tout comme… On se joue de ceux qui se sont déplacés dans l’Asile. Est-ce vraiment l’un des tueurs ? La porte de la chapelle se ferme alors que ceux qui viennent d’arriver approchent du corps blasphémé. Pied de l’homme appuyés sur ce qui semble être une télévision enneigée, réception mauvaise ou simplement une télé vintage, passé de mode qui offre un aspect encore plus dérisoire à cette découverte. C’est au - clac - que la porte produit, que l’image apparaît. Le live qui leur a permis de savoir où trouver @Oreste, bien que @Bastian ne semble pas être là. Seulement, cette fois, les images ne s’arrêtent pas, la vidéo continue…

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Des sillons de bave coulant de ses lèvres cendrées, Bastian hurle encore sous la douleur, le haut le cœur qu’il vient de ressentir en sentant sa chair essayer de retenir son ongle. La lueur verte s’estompe, disparaît dans la pénombre de la pièce. Bastian. Voix qui s’insinue sous son hurlement. La douleur, elle, elle lui martèle le crâne. Respire fiston. Il obtempère comme si ces simples mots suffisent à faire revenir son esprit à cet endroit précis. Papa ? qu’il murmure doucement. On est où ? Je ne sais pas. Le cauchemar recommence… Il se revoit quelques semaines plus tôt avec @Teddy dans la grange. Cette sempiternelle histoire, pourquoi on le tue pas simplement ? Pourquoi toujours le kidnapper ? Pourquoi survivre à ceux qui souffrent en même temps que lui ? Je suis désolé… Un gémissement parmi les sanglots qui le ravage. Pourquoi ? Tu n’y es pour rien. La réalité, c’est que Bastian sait qu’il a le diable perché sur une épaule. La pénombre qui plane au-dessus de sa tête, le noie petit à petit. Il coule. Dégringole. Bientôt son souffle ne sera plus que l’écho des limbes. Oreste gigote sous ses liens, cherche à atteindre la main de Bastian. Il l’effleure, décrochant un grognement de la part du bouclé. Son cœur palpite sous sa chair meurtrie. Les larmes coulent sur sa peau claire, le gamin laisse son père, l’homme qui lui donne une meilleure image de lui-même ; celui qui a fait de lui un De León et non plus un Gamble comme il tente à le croire depuis toujours, prendre sa main. Il ressent sa chaleur. Écoute-moi bien, Bastian, ce n’est pas de ta faute. Rien de tout cela n’est de ta faute. Tu es une lumière, dans ma vie, celle de ta mère, de tes frères, de tes amis. Tout ce qui est en train d’arriver n’a rien à voir avec toi ou ton passé. Tu m’entends ? Le silence plane. Un petit reniflement lui échappe alors que son père continue : Quoi qu’il arrive, promets-moi une chose. En sortant d’ici tu quittes Cloudcroft et tu ne te retournes pas. Vas voir ta mère à Mariposa, embrasse-la pour moi. Explique-lui, explique-leur. Et en fait… promets-moi aussi de vivre Bastian. Une longue vie, une vie heureuse. Occupe-toi de tes plantes, n’en fume pas trop. Et ne repense plus à tout ce qu’il s’est passé ici. Tu peux faire ça pour moi ? Leurs doigts se serrent, cette pression qui ouvre le chemin vers une promesse. Pourtant, Bastian secoue la tête. Je vais pas te laisser ici. Le remord le submerge parce qu’il sait que quelques jours plus tôt, il serait parti de cet enfer en laissant son père derrière lui. Il le sait et ça le brise. Pardon papa. qu’il chouine pour obtenir son pardon, un pardon pour une pensée dont il ignore l'existence. Dans le meilleur des cas on en sort tous les deux fiston, mais si on ne peut pas, c’est toi qui t’en sors. C’est à toi de vivre maintenant, à toi de partir. Et c’est mon rôle de te protéger, quelque chose que je n’ai pas assez fait ces derniers temps. Alors ne t’excuses pas, je sais ce que je fais, d’accord ? C’est pas toi qui devrait avoir la foi ? T’en fais quoi d’ton Dieu ? Il le bouscule, lui fait voir qu’il ne peut pas voir les ténèbres. Son père se trompe, ce n’est pas lui la lumière, mais celui qui le qualifie de tel. Je sais que je râle, que je donne des leçons, mais pour cette fois obéis Bastian et pars dès que tu le peux. Je n’ai pas été le père que tu méritais depuis que Simone est partie… Mais je suis incroyablement fier que tu sois mon fils, je suis fier de l’homme que tu es devenu. Et je t’aime. Arrête de dire n’importe quoi !
clap… clap…

Comme c’est touchant.

Sortant de l’ombre, le Neon Killer trace une larme symbolique avec la pointe de sa lame sur sa joue couverte du masque. Il se moque d’eux et le sourire cousu le prouve encore plus, alors qu’il avance vers Oreste. Il pourrait faire un monologue sur la beauté de l’amour père fils, mais il en a que faire. Il joue. Tout simplement. Avançant vers la caméra, il s’adresse à ses spectateurs.

Tic tac… tic tac
Arriverez-vous à les sauver ?
Bastian aura-t-il une seconde chance ?
Trouvez-nous… Le temps presse...

La caméra offre un panorama de l’endroit, des étagères bondées de flacons, un vieux lit sanglé.

Parce que le spectacle commence.

La caméra tremble lorsqu’on la repose sur le trépied. Ombre qui fait dos à l’objectif. Cette lentille de verre qui sera la première spectatrice de ce moment, alors qu’elle regarde silencieuse les deux hommes ligotés. Le chasseur rôde autour de ses proies, les observes.

Eenie, meenie, miney, moe,
Catch a tiger by the toe.
If he hollers, let him go.
My mother said to pick
The very best one
And you are not it.

Hurlement qui franchit les lèvres de Bastian, alors qu’une nouvelle fois la lame se pique dans sa peau. Connard. qu’il lui crache au visage, avant que la lame vienne extirper de sa chair un second ongle. Rire nasal qui se mélange aux halètements du plus jeune. Oreste qui se débat pour s’extirper, souffle comme un bœuf. L’adrénaline remonte dans ses veines, il veut le tuer cet enfoiré qui torture son enfant. Il est prêt à devenir pécheur aux yeux de Dieu, pour sa famille, pour la survie de ce môme qui hurle encore et encore alors qu’on le lacère. À force de se débattre, la corde se détend assez pour offrir à Oreste la possibilité d’entrer dans le jeu. Sa main empoigne celle du tueur. LÂCHEZ-LE ! qu’il gronde, en pressant ses doigts contre le poignet qu’il menotte. Son regard est sombre, la bonté, le pardon n’a plus lieu d’être, alors qu’il s’extirpe difficilement de sa prison de lien. Mais cet instant, ce coup de pouce d’adrénaline suffit à étonner le bourreau. Il baisse sa garde et Oreste le pousse assez fort pour qu’il titube en reculant. Bast, Baaaastian. Sa main tapote la joue de son fils, qui porte son regard vers le sol. Il est absent. Perdu dans les abysses de ses cauchemars. Allez Bastian. Il se veut plus insistant. Oreste doit sauver son fils. Il le doit. Il vient de lui dire que tout irait bien. Seulement, ses mains perlées de sang, sa joue où une plaie s’ouvre, fraîche, douloureuse. La vue du corps abîmé de son fils lui tord les entrailles. Il n’a jamais voulu ça. Il aurait dû le protéger. Le bouclé redresse la tête, son esprit brouillé par ce qui l’entoure. Bastian reconnaît son père. T’as vu je suis balaise… qu’il souffle, alors que tous deux savent pertinemment que Bastian est plutôt l’enfant délicat un peu trop porté sur la fumette. C’est bien fiiis… Aaaaaaaaaaaaaargh… Cette fois le cri provient de sa propre gorge alors qu’il ressent l’ouverture de sa chair dans son dos. La lame qui se tord dans le sens des aiguilles d’une montre. Kof. Kof. L’hémoglobine court dans sa gorge, caresse ses lèvres pour les teinter de l’astre de la mort. Noooooooooooooooooon.

Fin de la diffusion.

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Neige.
Tourbillon.
Crépitements.
Ondes isolées.

Où se trouve Bastian ?

Voici la question qui demeure, les doutes peuvent ainsi être lancés. Si son corps manque à l’appel, la vidéo ne montrant pas sa mort… Est-il le chef de cet orchestre ? La télévision revient, plante une image. Celle de la tête lumineuse de celui qui s’en est pris aux De León.

Chant religieux.
Silhouette gesticulante pour donner le rythme.
Sang qui coule sur la paroi de verre.
Sourire qui brille derrière l’écran.

Avez-vous compris ?

C’est la voix de Bastian qui pourfende l’espace et s’adresse à eux. Sourire narquois imprimé sur ce satané masque.

Doutez-vous encore ?

La vidéo se brouille à nouveau. La neige tempête à l’écran. Les mots résonnent dans la chapelle. Était-ce un piège ? Certainement. Seuls les irréfléchis penseraient être en sécurité, ici. Mais de quelle augure ? Celui kidnappé par deux fois était-il le kidnappeur ? Devaient-ils le rechercher ? Ou alors simplement le laisser crever dans cet endroit sans penser à ce qui est réel ou non ? Tous pouvaient se demander si @Bastian aurait eu l’audace de faire tuer son père ? Gamble était-il toujours présent, hantant son fils ?

Une porte qui grince.
Main qui s’agrippe à l’arche.
Corps vacillant.
Respiration sifflante.
Carcasse qui avance dans la noirceur.
Visage brillant d’un sourire.
X manquant l’emplacement des yeux.
Il approche.
BANG.
Poudre virevoltante.
@Sidney carabine en main.
MAIS ÇA VA PAS LA TÊTE !
Grognement.
Effondrement.
Bastian au sol qui crachote du sang. Main sur une plaie à son épaule. Il les dévisage sous son maquillage fluo. Tentative de créer le doute ? Est-il réellement l'un des tueurs ? Ou l'utilise-t-on comme bouc émissaire ?